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Carnet d'Odrevolution
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25 octobre 2010

Un caisse de bières pour le mort, por favor !

L'info a tourné en boucle à la radio: Natalio Mamani, journaliste de radio Vilcanota, est mort. C'était un vieux loup du journalisme de Sicuani. Natalio rentrait en vélo, peut-être avait-il un peu bu...Mais il a été renversé, sur un chemin qui n'est pas du tout celui de sa casa, par un véhicule qui s'est enfui. Il a volé à plusieurs mètres du choc, j'ai vu les photos et je vous passe les détails. Deux hypothèses, donc : soit il était complètement rôti, soit il a été assassiné. C'est la seconde hypothèse que défendent la plupart des journalistes. L'enquête est en cours, mais autant dire que personne ne croit a l'efficacité de la police dans ce genre d'affaires...C'est que Natalio n'avait pas que des amis, fichtre. La liberté de la presse a visiblement ses limites, mais pas la connerie !

Je n'étais pas motivé du tout pour aller à l'enterrement, - c'est vrai quoi, je n'avais pas gardé les Alpacas avec Natalio-, mais on m'a répondu que c'est la tradition d'aller à l'enterrement de quelqu'un de sa profession. Vamos donc. Embarquée d'office, nous sommes partis en goguette avec 45 minutes de retard, à peine. Et je n'ai pas été déçue ! Je regrette juste de ne pas avoir eu d'appareil photo, mais je ne pouvait pas me douter qu'il est de bon ton de faire des photos dans les enterrements péruviens. A l'entrée du cimetière, il y avait des vendeurs de bières, nous avons pris une caisse. « C'est un cadeau pour la famille, » me dit Edwin. « Pour noyer le chagrin? » demandait-je.  « Non, pour faire la fête avec le mort. » A la bonne heure!

Le cimetière est un immense champs avec partout et anarchiquement, des tombes - tas de pierres avec parfois des petites maisonnettes. L'herbe sèche était jaune paille et le ciel très noir avec un vent à faire sortir son bonnet péruvien. Une atmosphère d'apocalypse, donc. Il y avait un bordel incroyable, des gamins qui couraient partout, des gens affalés sur les tombes, des vendeurs ambulants et une foule compacte autour du cercueil – ouvert !!- dudit Natalio, au dessous d'un poster géant de lui offert par la fédération des Journalistes du sud Pérou. Pendant prés de deux heures, la plupart des représentants des radios et des journaux de Sicuani ont pris la parole pour dire combien c'était un bon journaliste, combien il se battait contre la corruption et l'injustice, combien il défendait les paysans, les plus démunis, les droits de l'homme...Et cela terminait toujours par un cri de guerre sur l'air du « hip hip houra » qui disait «¿ Natalio?, ¡presente ! ». Les discours viraient parfois au meeting politique. Comme ils étaient retransmis en direct a la radio et comme il y avait un bordel sans nom, les gens à plus de deux mètres du cercueil écoutaient avec leur petite radio portative. Puis enfin, tout le monde s'est mis en rang d'oignon pour mettre une pelle de terre sur le cercueil, et jeter des fleurs et des branches (pour refiler au mort ses souffrances et ses maladies, sympa), tout en parlant de la pluie et du beau temps, pendant que trois saxophonistes qui n'avaient visiblement jamais répété ensemble, essayaient de se faire entendre. C'était donc une véritable dernière fête avec Natalio, et pour la première fois à un enterrement, je n'ai vu personne pleurer. On avait pas encore entièrement recouvert le pauvre Natalio que, à deux mètres,les loulous de la radio ont rejoint une tripotée de journalistes 100% masculins, qui formaient un grand cercle, et qui s'étaient attaqué aux caisses de bières. Les mamitas elles, étaient assises tout autour. Faut pas mélanger la grande presse et la populace ! Non seulement j'ai du me taper une quarantaine de bises, mais j'ai aussi dû boire toute la soirée, moi qui n'aime pas ça. La tradition veut que l'on boive tous dans le même verre ( youpi les miasmes !) donc celui qui te précède te sert, tu as intérêt à boire rapido parce que le prochain attend, et pas question de refuser, c'est impoli. J'ai été sauvée par le fond de verre qu'il faut jeter en offrande à la Pachamama, la Terre-Mère. La Terre-Mère du cimetière a été arrosée pour l'été. A ta santé Natalio !

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